jeudi 16 juin 2016

A Costebelle, huit soldats morts pour la France pendant la guerre de 14-18




Le 28 juin 1914, deux coups de feu résonnent à un coin de rue à Sarajevo. Dans leur décapotable, l’archiduc François Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois et son épouse la duchesse Sophie de Hohenberg s’effondrent, mortellement touchés. Le tireur, un étudiant serbe de Bosnie, ne le sait pas encore, mais son geste vient de mettre le feu aux poudres. Quelques semaines plus tard, par le jeu des alliances, le monde entier s’embrasera.


La mobilisation générale est annoncée le dimanche 2 août 1914 dans l’après-midi. Tous les hommes français soumis aux obligations de la conscription doivent quitter leur foyer. L’affiche proclamant l’ordre de mobilisation générale, imprimée dès 1904, est complétée et datée à la main puis placardée par la gendarmerie. Chaque réserviste sait, en consultant son livret individuel de mobilisation, le lieu et le jour auxquels il doit répondre à l’appel. 


Trente-six hommes, originaires des cinq hameaux de Costebelle, la Rouvière, les Laphonds, les Goirands et Chancelas, trente-six sur une population de deux cent-six habitants, nés entre 1876 et 1892, partiront pour le front, dans les jours qui suivent l’ordre de mobilisation, qu’ils soient en tran d'effectuer leur service militaire dans les régiments de la vallée ou réservistes. Les plus âgés des hommes, nés avant 1876, qui font partie de l’armée territoriale, et les volontaires seront incorporés plus tard.
Devant la fontaine du hameau des Laphonds, s’arrête le groupe des huit réservistes qui descendent de Costebelle : les frères Joseph et Urbain Collomb, les trois frères Albert, Rémy et Emile Bonnafoux – oui, trois frères -, Adolphe Ferrand, Louis Ebrard et Henri Dechaux. Parmi les quatre hommes venant des Goirands, on reconnaît les frères Rémy et Julien Charbonnier, Louis Reuil – ce dernier ira rejoindre, Dieu sait où, son frère Lucien déjà au service militaire, - et Rémy Bonnafoux. Le groupe des quatre réservistes des Laphonds se prépare : il y a Adolphe Bosse, Justin Savornin, le frère d’Henri déjà au service militaire, Aimé Baudoul et Louis Bernard, qui va lui aussi retrouver son frère, Arcade Bernard déjà dans l’armée, déjà en route vers l'Est. Ces trois groupes se rendent ensemble à la mairie de La Bréole.


Certains des hommes mobilisés sont fiers et enthousiastes ; ils vont défendre leur patrie, ils reviendront vite, ils n’en ont que pour trois semaines ; d’autres, la plupart, laissent paraître le doute et la consternation sur leur visage.
Ils partent à la guerre dans la fleur de l’âge, laissant le travail de la ferme au moment le plus important de l’année.
Marie, l'institutrice, les a comptés à leur passage devant la fontaine : 16 hommes quittent les trois hameaux (Les Laphonds, Costebelle, Les Goirands). Sur une population de 111 habitants. Pas une famille n’est épargnée ; en vingt-quatre heures, il n’y a plus un seul homme entre vingt et quarante ans.
Ceux de Chancelas et de la Rouvière passent par une autre route pour aller au lieu de rassemblement. Ensemble, ils partiront en car pour la gare de Prunières. Un train les emmènera  vers l’Est de la France.


Au total, cent soixante-huit hommes seront mobilisés sur la commune de La Bréole, pendant toute la durée du conflit. Cent soixante-huit hommes sur une population totale de sept cents habitants, un quart. 


Le 157e Régiment d’Infanterie, basé à Barcelonnette, est, en 1914, un gros régiment avec plus de cinquante officiers, deux cent soixante-quatre sous-officiers, plus de quatre mille hommes, cent dix-sept chevaux de selle ou de trait et deux cent trente-deux mulets. La plupart des Ubayens y font leur service militaire. Des réservistes y sont rappelés chaque année afin d’effectuer leurs périodes de réserve.
Dès le 1er août, le régiment se met donc sur le pied de guerre et reçoit ses réservistes. Or, le 3 août, l’Italie annonce sa neutralité ; le 157ème R.I. n’a, donc, plus de raison de défendre la frontière italienne ; il est mis à la disposition de l’état-major. Il quitte ses différents casernements. En été, une grande partie du 157e régiment est aux manœuvres alpines et les échos des dramatiques événements qui se préparent, arrivent difficilement dans les régions reculées de Saint-Paul et du Col de Vars. Le 12, le régiment est prêt. Le 13, il rejoint la gare de Chorges/Prunières et, le 17 août, il est embarqué pour le sud de l’Alsace, à bord de cinq trains.
Sur les lieux de rassemblement, on remet aux fantassins des régiments d’infanterie leur équipement : des pantalons rouges, une capote grise fermée par deux rangs de boutons, des guêtres en cuir pour couvrir les mollets, des brodequins de cuir, un large ceinturon où sont attachés trois cartouchières en cuir et la baïonnette dans son fourreau, pour la tête, un képi à turban rouge et bandeau bleu. En plus, un gros sac en toile cirée renforcé par un cadre en bois, qui pèse entre vingt-cinq et trente kilos. A droite, on y accroche un bidon et à gauche, une gamelle. Ils montent dans le train en uniforme avec, entre leurs mains, un fusil Lebel et un sabre baïonnette. Quelques semaines plus tard, l’uniforme trop voyant et inadapté ainsi que l’équipement seront modifiés.


Malheureusement, dans les jours suivants, des batailles sanglantes font rage dans les Vosges. Le 22 août, vingt-sept mille Français sont tués, un total de pertes sans précédent.  :
« Le 157e RI a rejoint, dans les Vosges, la 44e division qui totalise deux cent vingt-cinq mille soldats. En face, il y a trois cent mille soldats allemands. Les deux camps s’affrontent dans ce qu’on appelle la Bataille de la Mortagne, près de Rambervilliers ; l’objectif est de reprendre aux Allemands le col de la Chipotte. Du 25 août au 1er septembre, les affrontements sont intenses et violents.  Attaques et contre-attaques incessantes. Le bilan des combats est très lourd. Pour la seule journée du 28 août, sur la commune du Ménil-sur-Belvitte, on compte vingt-sept tués qui sont ramenés à l’arrière et cent soixante-huit blessés. Et on constate l’absence de six cent quarante-sept hommes restés sur le terrain. Trente-deux Ubayens auraient été tués à l’ennemi ce jour-là. Dans cette bataille, le 157ème aurait perdu un quart de son effectif. Une hécatombe. »


Le maire, Monsieur Anthelme, a prévenu Marie, l'institutrice : « Vous aurez la charge d’aller informer les familles.» « Mon Dieu, se dit-elle, faites qu’il n’y ait aucun des hommes que nous avons salués, le 2 août. »
Le maire reçoit des avis de décès par télégramme. A lui d’annoncer ou de faire annoncer les décès aux familles. Il transmet à Marie les noms de Louis Reuil des Goirands, vingt-sept ans, marié et soutien de famille, et de Louis Bernard des Laphonds, trente-deux ans, fils aîné de veuve, tous deux réservistes, tous deux tombés le 28 août.
La guerre qui ne devait durer que trois semaines et permettre aux hommes de rentrer finir les foins et les moissons, continue de faire des morts, des orphelins, des veuves, des mères à jamais inconsolables et d’obscurcir la mémoire de ceux qui reviendront en permission. Toute la vallée pleure. Plus de cinq cents hommes de l’Ubaye ne reviendront pas de ces premiers jours de guerre dans les Vosges.


Après les batailles dans les Vosges et sur le front belge, épisodes terriblement meurtriers, la première bataille de la Marne permet à la France et au Royaume-Uni d'arrêter la progression des Allemands. Puis, le conflit s'enlise dans une guerre de position, une guerre de tranchées, s'étirant de la mer du Nord à la frontière suisse.
En octobre, Marie est à nouveau sollicitée par le Maire pour accomplir sa triste besogne. Deux jeunes voisins sont tués sur le front.
Henri Savornin est tué le 17 octobre, dans de terribles combats à Saint-Benoît-la-Chipotte dans les Vosges. Le jour où Henri est mort, tué à l'ennemi, on a compté quarante-sept soldats tués, soixante-seize blessés et quatre-vingt-trois disparus, au cœur des tranchées, dans la boue et le froid, en plein feu, dans le bruit assourdissant des explosions et des tirs en tout genre, au milieu des morceaux de chairs et des éclats de bois, de tissus, d’arbres, de munitions, de gamelles, de casques et autres. Il y eut ce jour-là, deux cent six tués, disparus et blessés. Une journée terrible mais même pas la pire. Henri, l'ancien élève de Marie, était  le deuxième fils de la famille. Il meurt à 21 ans.
Après Henri Savornin, on apprend que Rémy Bonnafoux de Costebelle a été tué à Zillebeke en Belgique, à 25 ans, le 17 novembre. Rémy faisait partie du 14e BCA, Bataillon des Chasseurs Alpins.
Le quartier est une nouvelle fois effondré à la suite de la nouvelle de la mort d’Arcade Bernard, le petit frère de Louis des Laphonds, mort le 28 août, à Ménil-sur-Belvitte. Arcade a été tué à Saint-Eloi en Belgique le 7 décembre 1914.
Une autre mauvaise nouvelle tombe juste avant Noël. Amable Masse, soldat au 275e Régiment d’Infanterie, a été porté disparu le 16 décembre à Flirey (Meurthe et Moselle) au cours d’une bataille très meurtrière. Amable Masse avait 41 ans, était l’époux de Marie-Madeleine et le père de cinq enfants. Il était, de loin, le plus âgé de tous et de plus, le seul père de famille nombreuse.
La disparition d’Amable Masse amène à quatorze, le nombre d’hommes tués entre août et décembre 1914,  dans la commune de La Bréole. C’est un bilan très lourd. Un triste Noël en perspective. 


Julien Charbonnier, né en 1887, incorporé au 159e RI de Briançon à la mobilisation, parti au front, est fait prisonnier en 1915, dans le Pas de Calais, et interné au camp de prisonniers militaires de Munster III, en Allemagne, au nord de la Rhénanie-Westphalie. Il décède en captivité à l’hôpital de Bedburg-Hau, dans la région de Dusseldorf, deux ans plus tard, le 25 mars 1917. Trente ans, tout rond. L’avis officiel de son décès est envoyé au ministère de la guerre le 21 juillet 1917. Il a été inhumé au cimetière de l’hôpital, section X, tombe 12. Marie Eugénie, sa mère, veuve, recevait des nouvelles de lui régulièrement. Ses lettres disaient qu’il se sentait abandonné, qu’il avait faim et froid et il demandait des colis de nourriture. Les colis arrivaient vides. « Ils se servent, ils ont aussi faim que nous. Je suis si maigre. Vous ne me reconnaîtriez pas, plus léger qu’un sac de plumes. »  Puis à la fin 1916, Marie Eugénie ne reçoit plus de lettres. L’angoissante attente s’installe, chaque nouveau matin sans nouvelle étant plus difficile à vivre que le précédent.
Jusqu’à ce 31 juillet 1917 où le maire demande à Marie d’aller voir Marie Eugénie Charbonnier. 
Marie, démoralisée, de lui répondre : « Allons-y ensemble. S’il vous plaît. »
Le dernier des enfants de Costebelle morts pour la France est Adolphe Ferrand. Il s’éteint à l’hôpital de Gap à quelques jours de la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, marquant la fin des combats, la victoire des Alliés et la défaite totale de l'Allemagne. Adolphe Ferrand né en 1879, est mort à l’hôpital de Gap le 1er novembre 1918. 39 ans, cultivateur à Costebelle, fils unique de Frédéric et de Rosalie Ferrand, frère de Marie et d’Elise. Il est mort après avoir combattu pendant quatre ans au sein du 112e RI et du 127e RI. Il a fait toutes les batailles et quelques mois avant la victoire, il a été touché par un éclat d’obus qui l’a rendu invalide et lui a fracturé le visage. Ses terribles souffrances, sa grande faiblesse et les infections successives ont eu raison de son corps meurtri atrocement. Marie n’a pas eu besoin d’annoncer la triste nouvelle à la famille. Celle-ci était aux côtés d’Adolphe à Gap, jusqu’à son dernier souffle. 


Angeline, la mère de Louis et de Lucien, et Léa, la femme de Louis, des Goirands, Marie-Magdeleine, la mère de Louis et d’Arcade des Laphonds, Rose, la mère d’Henri et Lise, sa jeune femme, des Laphonds, puis la mère de Rémy de Costebelle, Marie–Madeleine, la femme d’Amable portent le deuil depuis 1914. La mère de Julien depuis le printemps 1917 et la mère d’Adolphe depuis quelques jours. Elles sont habillées et voilées de noir.


La guerre se termine. L'Armistice est signé le 11 novembre 1918, marquant la fin des combats de la Première Guerre Mondiale, la victoire des Alliés et la défaite totale de l'Allemagne.
Tous les villages fêtent la fin de la guerre. On pleure de joie de voir revenir les hommes, on pleure de chagrin à l’idée de ne plus jamais revoir ceux qui ont disparu. 




Plaque commémorative dans l'église de Costebelle. Morts pour la France. Photo CB/DR.

La plaque commémorative des morts pour la France pendant la guerre de 14-18, installée dans l'église de Costebelle, porte les noms des 8 soldats, dont il est question dans cet article. 


Le monument aux morts de La Bréole porte les noms de 48 soldats morts pour la France, dont 46 pendant la Première Guerre Mondiale.

1 commentaire:

  1. Merci pour cette publication qui m'a permis de découvrir des détails que j'ignorais sur la fin de deux de mes grands-oncles (Louis REUIL et Adolphe FERRAND).
    Un texte très émouvant !

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