C’est
bien de répondre si bien à mes folles questions. J’aurais
peut-être une bonne chance de passer sergent étant adjoint.
Souriez. Il est vrai qu’aujourd’hui sans piston puissant, sans
cachotterie, bref c’est le dernier souci. La classe, voilà
l’idéal. Quel âge aviez-vous lorsque monsieur votre frère
partait au régiment, si je ne suis trop curieux. Si oui, tirez-moi
l’oreille. Je dois le mériter, n’est-ce pas ? Ma bien
aimée, pourquoi renvoyer au lendemain ce que vous pouvez faire le
même jour ? Le proverbe le défend. Je voudrais bien connaître
votre nom. Je vous en supplie, voyons, mignonne amie, laissez-vous
faire. Je m’efforcerais d’en être digne. En somme, tant
d’hésitations n’ont plus leur raison d’être. Je vous aime et
ne saurais vous mentir à ce point. D’ailleurs, dans quel but
serait-ce tout ce hasard sur de vaines paroles verbalement
prononcées. Mais ce sont des écrits qui prouvent et qui restent.
De
tendresse vibre
l’heure
Contre
l’amour on lutte en vain
D’extase,
d’ivresse on se meurt
Enviant
un baiser divin
Hélas
une seule fois dans la vie
Sonne
l’heure du vrai bonheur.
Mignonne
si votre âme est ravie
A
moi votre petit cœur
Mil
affectueux baisers
A
bientôt chérie
Je
suis avec vous
Albert
Votre
belle carte m’arriva un jour de misère,
de
désespoir. Merci de votre réussite.
Ce
fut une bonne fortune, une douce consolation. J’aime tant à vous
lire.
Et
cette photo, petite Marie ? Vraiment, je l’envie.
Le
11 novembre 1906
Albert,
J'ai
bien reçu la série de cartes au bouquet de roses. Elle est
magnifique et je vous en remercie mille fois. En ce dimanche, je suis
très fatiguée. Je serai donc plus brève que la dernière fois.
Votre fougue m'enthousiasme, m'éloignant temporairement de mes
soucis. Tant mieux. Albert, je ne puis pas répondre à vos
sollicitations. Je ne suis sûre de rien dans ma vie actuellement.
J'ai l'impression de n'avoir aucun discernement. Tout est compliqué.
Vous êtes spontané, enthousiaste, excessif et aveuglé par la
passion. J'accepte avec plaisir vos déclarations mais je suis
incapable de vous dire les mots que vous attendez de moi. Je ne
triche pas, vous voyez. Tout est gris aujourd'hui, le temps et mon
humeur aussi. J'ai beaucoup de travail en retard, des cahiers à
corriger et des leçons à préparer. Bon courage et merci pour vos
envois. Marie
Novembre
1906 (1)
Vraiment
gentille est votre carte. Encore un accès de modestie. Plus qu’un
petit effort, belle amie, et vous m’accorderez cette petite faveur.
Je serais si heureux de pouvoir m’en servir sur ma prochaine carte.
Puis il me tarde de le connaître. Non, je n’avais eu le bonheur de
vous causer étant à Maljasset. En effet, j’étais toujours avec
un Lieutenant. Je faisais les Alpes plutôt en amateur. J’étais
ciéliste du bataillon. C’est un soir pendant mes loisirs que je
vous aperçus à une petite fenêtre en face de la gendarmerie. Je
suis resté aussi très longuement en face d’une chapelle, autant
que je me rappelle, une petite maison avec une cloche apparente,
n’est-ce-pas ? Je ne comprends pas bien pourquoi vous seriez
condamnée à végéter, comme vous le dites, très chère amie. En
de pareils pays, il me semble assez facile d’obtenir un changement.
Bien
à vous, Albert
Novembre
1906
Albert,
Me
voici contente de savoir comment vous me connaissez et bien étonnée
aussi. Je ne peux pas imaginer que vous soyez resté debout à votre
fenêtre à me regarder et que jamais vous ne m'ayez adressé la
parole. Quelle histoire ! Je ne vois pas du tout qui vous êtes
mais à coup sûr, vous savez qui je suis. C'est gênant. Enfin !
Merci d'avoir éclairci ce mystère.
Cette
rencontre à sens unique m'intrigue. Pouvez-vous me préciser ce que
je faisais lorsque vous m'observiez ? Comment étais-je
habillée ? Coiffée ? Etais-je seule ? Je ne sais pas
grand-chose à votre sujet. Que faites-vous dans la vie civile ?
Quel âge avez-vous ? Comment êtes-vous ? Décrivez-vous
un petit peu, s'il vous plaît.
Votre
folie douce égaye ma vie morose. Elle me fait du bien. Je m'arrête.
Je suis trop bavarde.
Portez-vous
bien, Caporal. Merci pour le début de la série. C'est charmant.
Marie
PS :
Quand on est fonctionnaire, les mutations sont plus longues à venir
qu'on ne le souhaite. En ce moment, je suis très impatiente.
Je
n’ai reçu qu’hier soir votre enivrante carte. Enfin, un peu
d’espoir. Je vous croyais rebelle à Cupidon ? N’auriez-vous
pas reçu de moi une deuxième lettre sur papier vert « toilé
en fils » qui vous était adressé à Maljasset à l’époque
de votre départ, où je croyais avoir répondu à toutes les
questions à l’exception de mon nom ?
J’éprouvais
un tel bonheur à vous lire. Pourquoi « petite méchante »
pousser cet accès de modestie jusqu’à vous croire bavarde ?
C’est cruel de rompre ainsi. Je suis encore soldat. En vie civile,
je suis interprète et réside généralement à l’étranger. Pour
vous que j’adore, je ferai l’impossible. Si votre cœur n’est à
personne et qu’il réponde à mes désirs, mignonne, je serai à
votre
merci.
A
un petit taquin,
Mais
enfin, pourquoi tant persister ? J’aimerai autant que je ne
vous ai aimée à connaître votre nom. Puisque vous ne me connaissez
point : « Vous le prétendez tout au moins ».
Aurais-je le plaisir de vous retrouver quelque part pour votre
prochain congé de Noël ?
Vous le voulez bien ? Dites-moi oui. Où il vous plait de la
passer, j’irai.
A
vous mes plus tendres pensées. …tout à vous...
Je
vous embrasse, Albert
A
bientôt S.V.P. ??
Novembre 1906
Albert,
Je
vous arrête tout de suite. Je ne peux pas vous rencontrer. Ni ici,
ni ailleurs. Continuons cette folle correspondance, si vous le
souhaitez. Mais ne m'en demandez pas trop. Je ne pourrai vous
répondre que par la négative. C'est impossible autrement. A
bientôt. Bises, Marie
Je
ne puis pas dire que je vous connaisse beaucoup, mais vous êtes si
modeste, si correcte, si drôle en correspondance que bien follement,
je suis épris. Nul ne sait belle amie le choc sensitif que
j’éprouvai le jour où la première fois je vous aperçus à
Maljasset.
Pourtant
vous m’êtes de plus en plus chère. Combien je serais heureux de
savoir à mon tour si vous n’êtes à personne ? Si votre
petit cœur n’est point promis ? Quoi ?? Excusez-moi.
Mais je ne puis résister. Peut-être me reconnaîtrez-vous plus
curieux que vous cette fois ! Votre photo, S.V.P. Je vous avais
donné tous les renseignements que vous demandiez. Les avez-vous
reçus ? Votre choix me plaît. J’aime la campagne. Puis vous
êtes si mignonne en tout. Mais j’attends et espère recevoir votre
nom cette fois. Je vous ai donné satisfaction en tout, excepté
peut-être que j’étais caporal au régiment. En ce moment, je suis
de semaine. Voilà pourquoi je vous prie d’excuser mon retard. Dans
cette condition, l’on ne quitte pas de huit jours.
Celui
qui vous aime et désire tant de vous revoir,
Albert,
Caporal 10e
compagnie, 140 de ligne, Grenoble
Le
9 décembre 1906
Bonjour
Albert,
J'aime
vos cartes postales. Le caporal a belle allure avec son uniforme
bleu, ses épaulettes rouges et son sourire de séducteur. C'est
vous ? Vous lui ressemblez ?
Je
ne réponds pas à vos questions et je me mets à vous en poser.
C'est que vous m'intriguez. Comme je vous l'ai déjà écrit, je n'ai
aucun souvenir d'avoir été regardée avec insistance et d'avoir
provoqué en vous un « choc sensitif ». L'expression que
vous utilisez me trouble. Evidemment, je n'y suis pas insensible mais
je vous répète que mon humeur, ma situation actuelle et ma
fonction ne se prêtent pas à l'insouciance et au libertinage.
Ne
vous excusez pas pour le retard éventuel de vos courriers ou la
difficulté que vous pouvez avoir à faire des achats. Je comprends
très bien, malgré l'impatience que je montre parfois. Mon frère,
effectuant aussi son service militaire, je pense bien connaître vos
conditions de vie et vos contraintes.
Nous
nous enfonçons dans l'hiver. Froidement et mollement. C'est ainsi.
Portez-vous bien. Marie
Je
vous aime ! A bientôt ! Plus que 28
jours à faire !
(28
est écrit à la main)
Douce
petite Mademoiselle,
Que
devez-vous penser de moi ? Vraiment, je suis inconscient.
Cependant, ce n’était pas tout de ma faute. Depuis un mois, j’ai
un peu la guigne. Chaque fois que je me proposais de sortir, il y
avait piquet de grève. Le reste du temps, j’étais toujours
commandé d’un service quelconque. Dans quelle direction
passerez-vous vos vacances de la Noël, belle amie, si le hasard… ?
Mille
tendres caresses. Toujours tout à vous.
Mille
fois non, je ne connais personne ici, ni ailleurs, petite méchante,
va.
Que
ces petits cochons vous apportent tout le bonheur et la joie dont
vous avez envie. Pour vous, mes meilleurs souhaits et vœux pour
cette nouvelle année. A la hâte, toujours tout à vous, Albert
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