Episode 23

Le 7 janvier 1907

Mademoiselle,
Conformément à vos désirs, j’ai jugé bon de ne pas vous adresser mes correspondances pendant votre séjour au Vernet. Merci de vos bons souhaits et de retour, je vous présente mes meilleurs vœux de bonne année. Léon 


Une personne m’a causé longuement de vous, croyant que je ne vous connaissais pas. Mais c’est une ancienne amie qui, par conséquent, ne m’a fait que louanges sur vous. Et vos parents, qu’ont-ils décidé ?

Le 13 janvier 1907
Mon cher Léon,
Je tremble de te décrire ce qui s’est passé chez mes parents, quelques minutes avant mon départ du V., alors que je m'apprêtais à revenir à Costebelle, pour te retrouver comme prévu.
Même si vous ne me comprenez pas, même si vous me détestez, même si vous haïssez mes parents pour ce qu’ils ont fait, je dois vous dire la vérité. Peut-être ces quelques mots vous suffisent-ils et vous ne lirez pas plus loin cette lettre. Peut-être vous préparez-vous à la jeter dans le feu ?
A l’heure qu’il est, ma douleur est encore très vive. La tienne, teintée de dépit, d'amertume et de déception ne l'est-elle pas autant ? Nous étions convaincus que notre amour serait plus fort que tout. Après votre lettre du 25 octobre, dont je doute que vous en soyez l'auteur, tant les mots étaient méchants, je vous ai assuré de mon amour, vrai et sincère ; je vous ai écrit que je vous aimais depuis le début, au printemps 1905 et que nous serions heureux tous les deux pendant toute notre vie.
Tout s'est apaisé entre nous pendant quelques semaines.
Mais la question obsédante concernant la décision de mes parents te taraudait. Moi, naïve, j’essayais de l’ignorer. Tant et si bien que je pensais qu’elle ne se posait plus. Je la chassais de mon esprit. Vous ne l’aviez pas oubliée, vous. Non. Etiez-vous plus averti que moi ? Tu ne te faisais guère d'illusion sur la tournure des événements. Là, à cette minute, tu es exaspéré. Ton regard fait des allers et retours sur la page et tes mains serrent le papier au point de le froisser. J'espérais que mon père cède. J’ai tout gâché. Notre rencontre avait éclairé notre vie. Maintenant tout est terne.
Alors, voilà, le 29 décembre au matin, au moment où je finissais de préparer mes bagages pour rentrer à Costebelle, mon père est entré dans ma chambre. Il a fermé la porte derrière lui et il m’a dit sèchement : « Ma fille, je te répète que tu épouseras Aimé, quand il reviendra. Ne t’amourache pas d’un autre homme. Aimé t’est destiné. Il sera de retour avec une belle fortune dans peu de temps. Je le connais et j’en entends dire le plus grand bien. Tu l’attends. Tu t’occupes de ton travail. Et vous vous marierez. » Il a tourné les talons et je ne l’ai pas revu avant de partir du V.
Même scénario que lorsqu’il était venu me voir à Maljasset. Tu te souviens ? Pourquoi répéter ce genre de propos et se faire du mal, mon amour ?
Au fur et à mesure que les mots de mon père me frappaient, je me sentais faiblir, au point de perdre connaissance.
Mon chéri, tu as compris. Je pleure en t’écrivant. Je me soumets donc. Je ne veux pas me soumettre. Je dois le faire. Je ne veux pas te perdre. Je le dois.
Au lieu d’écouter la voix de mon coeur, j'obéis à celle de mon père. Je me croyais libre, intelligente et fière. Je suis engluée dans les codes familiaux et sociaux impossibles à écarter de mon chemin.
Quelles solutions ai-je ? Me soumettre à ma famille ou me révolter et m'enfuir.
Des deux, laquelle me rendra la moins malheureuse ? J’ai choisi. Je renonce à toi, à ton amour, à notre amour. Je relis ces mots, je les murmure. Au passage de mon souffle, ils m'écorchent les joues. Et je pleure.
Voilà la vérité.
Dans ta lettre, tu écrivais : « Nous nous quittons donc le cœur bien gros. Je vous le dis bien sincèrement et peut-être bientôt nos cœurs seront occupés par d’autres amants. » En octobre, je n’acceptais rien de ce que tu écrivais dans ta lettre ; je n'acceptais surtout pas que tu me dises que notre histoire était terminée.
Notre métier nous amènera à nous croiser. Nous entendrons parler l'un de l'autre Je serai toujours heureuse d'avoir de tes nouvelles et de te voir. Je saurai rester discrète, ne t'inquiète pas. Je garderai, précieusement, dans un album, tes cartes postales et tes lettres, remplies de mots d’amour, de soutien et d’encouragement. Elles réactiveront mes souvenirs et me nourriront pendant de nombreuses années.
Merci pour tout ce que nous avons vécu ensemble. Te souhaitant une bonne nouvelle année, je t’embrasse tendrement, Marie 

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