Mademoiselle,
Conformément
à vos désirs, j’ai jugé bon de ne pas vous adresser mes
correspondances pendant votre séjour au Vernet. Merci de vos bons
souhaits et de retour, je vous présente mes meilleurs vœux de bonne
année. Léon
Une
personne m’a causé longuement de vous, croyant que je ne vous
connaissais pas. Mais c’est une ancienne amie qui, par conséquent,
ne m’a fait que louanges sur vous. Et vos parents, qu’ont-ils
décidé ?
Le
13 janvier 1907
Mon
cher Léon,
Je
tremble de te décrire ce qui s’est passé chez mes parents,
quelques minutes avant mon départ du V., alors que je m'apprêtais à
revenir à Costebelle, pour te retrouver comme prévu.
Même
si vous ne me comprenez pas, même si vous me détestez, même si
vous haïssez mes parents pour ce qu’ils ont fait, je dois vous
dire la vérité. Peut-être ces quelques mots vous suffisent-ils et
vous ne lirez pas plus loin cette lettre. Peut-être vous
préparez-vous à la jeter dans le feu ?
A
l’heure qu’il est, ma douleur est encore très vive. La tienne,
teintée de dépit, d'amertume et de déception ne l'est-elle pas
autant ? Nous étions convaincus que notre amour serait plus fort que
tout. Après votre lettre du 25 octobre, dont je doute que vous en
soyez l'auteur, tant les mots étaient méchants, je vous ai assuré
de mon amour, vrai et sincère ; je vous ai écrit que je vous
aimais depuis le début, au printemps 1905 et que nous serions
heureux tous les deux pendant toute notre vie.
Tout
s'est apaisé entre nous pendant quelques semaines.
Mais
la question obsédante concernant la décision de mes parents te
taraudait. Moi, naïve, j’essayais de l’ignorer. Tant et si bien
que je pensais qu’elle ne se posait plus. Je la chassais de mon
esprit. Vous ne l’aviez pas oubliée, vous. Non. Etiez-vous plus
averti que moi ? Tu ne te faisais guère d'illusion sur la
tournure des événements. Là, à cette minute, tu es exaspéré.
Ton regard fait des allers et retours sur la page et tes mains
serrent le papier au point de le froisser. J'espérais que mon père
cède. J’ai tout gâché. Notre rencontre avait éclairé notre
vie. Maintenant tout est terne.
Alors,
voilà, le 29 décembre au matin, au moment où je finissais de
préparer mes bagages pour rentrer à Costebelle, mon père est entré
dans ma chambre. Il a fermé la porte derrière lui et il m’a dit
sèchement : « Ma fille, je te répète que tu épouseras
Aimé, quand il reviendra. Ne t’amourache pas d’un autre homme.
Aimé t’est destiné. Il sera de retour avec une belle fortune dans
peu de temps. Je le connais et j’en entends dire le plus grand
bien. Tu l’attends. Tu t’occupes de ton travail. Et vous vous
marierez. » Il a tourné les talons et je ne l’ai pas revu
avant de partir du V.
Même
scénario que lorsqu’il était venu me voir à Maljasset. Tu te
souviens ? Pourquoi répéter ce genre de propos et se faire du
mal, mon amour ?
Au
fur et à mesure que les mots de mon père me frappaient, je me
sentais faiblir, au point de perdre connaissance.
Mon
chéri, tu as compris. Je pleure en t’écrivant. Je me soumets
donc. Je ne veux pas me soumettre. Je dois le faire. Je ne veux pas
te perdre. Je le dois.
Au
lieu d’écouter la voix de mon coeur, j'obéis à celle de mon
père. Je me croyais libre, intelligente et fière. Je suis engluée
dans les codes familiaux et sociaux impossibles à écarter de mon
chemin.
Quelles
solutions ai-je ? Me soumettre à ma famille ou me révolter et
m'enfuir.
Des
deux, laquelle me rendra la moins malheureuse ? J’ai choisi.
Je renonce à toi, à ton amour, à notre amour. Je relis ces mots,
je les murmure. Au passage de mon souffle, ils m'écorchent les
joues. Et je pleure.
Voilà
la vérité.
Dans
ta lettre, tu écrivais : « Nous
nous quittons donc le cœur bien gros. Je vous le dis bien
sincèrement et peut-être bientôt nos cœurs seront occupés par
d’autres amants. »
En octobre, je n’acceptais rien de ce que tu écrivais dans ta
lettre ; je n'acceptais surtout pas que tu me dises que notre
histoire était terminée.
Notre
métier nous amènera à nous croiser. Nous entendrons parler l'un de
l'autre Je serai toujours heureuse d'avoir de tes nouvelles et de te
voir. Je saurai rester discrète, ne t'inquiète pas. Je garderai,
précieusement, dans un album, tes cartes postales et tes lettres,
remplies de mots d’amour, de soutien et d’encouragement. Elles
réactiveront mes souvenirs et me nourriront pendant de nombreuses
années.
Merci
pour tout ce que nous avons vécu ensemble. Te souhaitant une bonne
nouvelle année, je
t’embrasse tendrement, Marie
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