Merci
Amitiés Souvenir
Léon
Le 1er avril 1906
Mon
cher Léon,
En
ce 1er avril, je te souhaite bonne chance et tous mes vœux de
bonheur. Vois ! J'ai dessiné un poisson dans le coin en haut à
droite de la page ! Excuse-moi de ne pas avoir écrit plus vite.
Je suis très occupée par mon travail. J'aimerais te demander un
conseil au sujet de l'achat d'une mandole pour pouvoir accompagner
mes élèves en classe de chant. Sais-tu où je pourrai m'en procurer
une ? Combien ça coûte ? J'attends tes conseils. Ils me
sont toujours précieux. Tu es la seule personne de mon entourage à
qui je parle de tout ce qui me préoccupe et dont je lis et relis les
avis. Tu le sais, n'est-ce-pas ?
Mon
père a profité d'un déplacement à Barcelonnette pour venir me
voir à Maljasset. Ce n'était pas la meilleure période pour faire la
route. Il y a encore de la neige et du verglas. Ce trajet
supplémentaire tenait plus de l'obligation que du plaisir. Je l'ai
vu tout de suite, à son arrivée. Il n'a même pas enlevé son
manteau. Il a gardé son chapeau entre les mains. Il ne s'est pas
assis. « Marthe, m'a-t-il dit, tu vas épouser Amable. Je l'ai
décidé ainsi. » Je lui ai vivement répondu qu'il n'en était
pas question. Il m'a répondu : « Si, il en est toujours
question. Tu n'as qu'à accepter, sans t'interroger. » J'ai
bégayé que justement je ne savais pas. Et il est parti
brusquement sans me dire au-revoir. Pouvez-vous imaginer dans quel
état de tristesse et de désarroi j'étais à ce moment précis
?
Maintenant,
je me sens perdue, ne sachant comment me sortir de cette situation,
diminuée, parce que soumise à la volonté de mon père, blessée
parce qu'incapable de prononcer le moindre mot. Tu me trouves
inconsistante, sans volonté, sans fierté ? Je ne suis pas
digne de toi ? Tu m'aimes, tu as confiance en moi, tu me pousses
à m'exprimer. Et voilà qu'aucun son ne sort de ma bouche en
présence de mon père. Ne me plains pas, ne me blâme pas. Aide-moi.
A
part cet épisode dont je me serais bien passée, tout se passe bien
ici. Le printemps naissant nous offre de belles journées et quelques
rayons de bon soleil chaud. Au fond, je reste optimiste sur mon
avenir personnel et professionnel. Cette dernière phrase me
réconcilie avec moi-même.
J'espère
que tu me comprends. Affectueuses pensées. Marie
Le
4 avril 1906
A
mon tour, je vous prie de m’excuser du long retard que j’ai mis
pour répondre à votre aimable lettre. Surchargé de travail et
quelquefois indisposé sont les seules causes. Ne croyez pas que
c’est un oubli volontaire. Je lis que M. votre père est venu vous
voir à Maljasset.
Mais n’êtes-vous pas arrivée à lui faire expliquer son refus ?
Enfin…
Hier,
jeudi, j’ai été à Revest des Brousses en compagnie de quelques
employés de Banon. Nous avons déjeuné chez l’instituteur. J’ai
bien pensé à vous pendant ce temps aussi j’ai jugé pratique de
vous adresser la vue des écoles. A propos de la mandoline que vous
voulez acheter. Au début, il est bon de s’en procurer une de 15 à
20 fr. Si vous voulez, je tâcherai d'en vous en acheter une à 17 fr
ici à Banon. A bientôt le plaisir de vous lire et recevez mes
amitiés. Léon
Le
12 avril 1906
Mademoiselle
Marie,
Je
ne doute pas du plaisir que vous avez dû éprouver la vue des écoles
de R. des Brousses,
aussi
de mon côté, je me permets de vous adresser la suite de la
collection. Vous me dites avoir pensé à votre ancien poste. Je vous
crois d’autant plus que, non loin se trouve votre ami,
je ne dis pas amant, car cela vous causerait de la peine, n’est-ce
pas ? Enfin, que des paroles jetées en plein vent, mais aussi
comment faire pour oublier ? Nous sommes dans le même embarras.
Je pense la semaine prochaine aller à Nice passer deux ou trois
jours. Mais à l’approche des fêtes, le souvenir de mon regretté
père n’est que plus touchant. Me donnerez-vous de vos nouvelles
avant Pâques. Je ne cesserai de vous répéter que je voudrais
savoir le motif, savoir le pourquoi.
Au sujet de la mandole, je vous laisse libre d’autant plus qu’une
amie vous conseille de l’apprendre. Quant à moi, je préfère la
mandoline. C’est une affaire de goût. Et c’est très difficile
d’imposer son choix (?). Remerciements
et Amitiés Léon
Le
29 avril 1906
Mon
cher Léon,
Comme
j'ai eu plaisir à vous revoir et à vous embrasser. Ces deux jours
merveilleux à Sisteron sont passés si vite. A quel endroit de nos mémoires sont-ils inscrits ? Déjà le travail quotidien et les
questions qui nous agitent prennent le dessus.
Oh,
votre lettre me fait du bien. Merci beaucoup. Merci aussi pour les
vues de l'école de Revest des Brousses, où j'ai passé de si bons
moments, bien que brefs avec ma sœur Mélanie. Quelle belle région !
Quels beaux paysages ! Quels beaux villages ! L'autre nuit,
j'ai rêvé de vous. Nous étions ensemble là-bas justement, nous
promenant dans le village, conversant avec votre ami instituteur à
une table du café de la place, près de la magnifique fontaine en
pierre, puis repartant par les chemins entre les lavandes, les bois
de chênes et les prairies déjà occupées par les chèvres. Ca
ressemblait tellement à la réalité que le choc fut rude au réveil.
Je ne voyais à travers ma fenêtre que les flancs sombres des
montagnes enserrant le vallon.
Comme
vous le dites, c'est très difficile d'imposer son choix. J''ai
compris ce que vous vouliez dire. A-t-on vraiment le choix dans sa
vie ? Choisir une mandole plutôt qu'une mandoline ou vice-versa
ne me paraît pas insurmontable. Mais choisir sa destinée est autre
chose.
Mon
père a décidé pour moi. Je ne veux pas épouser un homme que je
connais à peine. Je ne veux pas m'opposer à mon père. Je suis
mortifiée.
Un
autre jour, nous discuterons plus longuement sur ce sujet.
Aujourd'hui,
j'ai une question. Comment faites-vous avec les jeunes garçons
indisciplinés ? Les punissez-vous ? Leur expliquez-vous en
quoi ils perturbent la classe et en quoi cela vous dérange ?
Qu'est-ce qui marche le mieux, à votre avis ? J'en ai deux en
ce moment qui chahutent beaucoup et je n'arrive pas à me faire
comprendre. Tous les jours, je dois me fâcher. Mes paroles sont sans
effet. Comment faire ? Comment faites-vous ?
Mon
cher ami, tâchez, je vous prie, de ne pas trop m'accabler. Pas dans
chaque lettre. Vous savez comme ce dilemme me hante nuit et jour. Je
comprends votre peine et vos interrogations. Je n'ai pas de réponse
simple. Aidez-moi. Aimez-moi. Je vous aime. A bientôt. Marie
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