Episode 8

Le 7 mars 1906
Merci Amitiés Souvenir
Léon














Le 1er avril 1906
Mon cher Léon,
En ce 1er avril, je te souhaite bonne chance et tous mes vœux de bonheur. Vois ! J'ai dessiné un poisson dans le coin en haut à droite de la page ! Excuse-moi de ne pas avoir écrit plus vite. Je suis très occupée par mon travail. J'aimerais te demander un conseil au sujet de l'achat d'une mandole pour pouvoir accompagner mes élèves en classe de chant. Sais-tu où je pourrai m'en procurer une ? Combien ça coûte ? J'attends tes conseils. Ils me sont toujours précieux. Tu es la seule personne de mon entourage à qui je parle de tout ce qui me préoccupe et dont je lis et relis les avis. Tu le sais, n'est-ce-pas ?
Mon père a profité d'un déplacement à Barcelonnette pour venir me voir à Maljasset. Ce n'était pas la meilleure période pour faire la route. Il y a encore de la neige et du verglas. Ce trajet supplémentaire tenait plus de l'obligation que du plaisir. Je l'ai vu tout de suite, à son arrivée. Il n'a même pas enlevé son manteau. Il a gardé son chapeau entre les mains. Il ne s'est pas assis. « Marthe, m'a-t-il dit, tu vas épouser Amable. Je l'ai décidé ainsi. » Je lui ai vivement répondu qu'il n'en était pas question. Il m'a répondu : « Si, il en est toujours question. Tu n'as qu'à accepter, sans t'interroger. » J'ai bégayé que justement je ne savais pas.  Et il est parti brusquement sans me dire au-revoir. Pouvez-vous imaginer dans quel état de tristesse et de désarroi j'étais à ce moment précis ?
Maintenant, je me sens perdue, ne sachant comment me sortir de cette situation, diminuée, parce que soumise à la volonté de mon père, blessée parce qu'incapable de prononcer le moindre mot. Tu me trouves inconsistante, sans volonté, sans fierté ? Je ne suis pas digne de toi ? Tu m'aimes, tu as confiance en moi, tu me pousses à m'exprimer. Et voilà qu'aucun son ne sort de ma bouche en présence de mon père. Ne me plains pas, ne me blâme pas. Aide-moi.
A part cet épisode dont je me serais bien passée, tout se passe bien ici. Le printemps naissant nous offre de belles journées et quelques rayons de bon soleil chaud. Au fond, je reste optimiste sur mon avenir personnel et professionnel. Cette dernière phrase me réconcilie avec moi-même.
J'espère que tu me comprends. Affectueuses pensées. Marie


Le 4 avril 1906 
Mademoiselle Marie,
A mon tour, je vous prie de m’excuser du long retard que j’ai mis pour répondre à votre aimable lettre. Surchargé de travail et quelquefois indisposé sont les seules causes. Ne croyez pas que c’est un oubli volontaire. Je lis que M. votre père est venu vous voir à Maljasset. Mais n’êtes-vous pas arrivée à lui faire expliquer son refus ? Enfin…
Hier, jeudi, j’ai été à Revest des Brousses en compagnie de quelques employés de Banon. Nous avons déjeuné chez l’instituteur. J’ai bien pensé à vous pendant ce temps aussi j’ai jugé pratique de vous adresser la vue des écoles. A propos de la mandoline que vous voulez acheter. Au début, il est bon de s’en procurer une de 15 à 20 fr. Si vous voulez, je tâcherai d'en vous en acheter une à 17 fr ici à Banon. A bientôt le plaisir de vous lire et recevez mes amitiés. Léon



Le 12 avril 1906
Mademoiselle Marie,
Je ne doute pas du plaisir que vous avez dû éprouver la vue des écoles de R. des Brousses, aussi de mon côté, je me permets de vous adresser la suite de la collection. Vous me dites avoir pensé à votre ancien poste. Je vous crois d’autant plus que, non loin se trouve votre ami, je ne dis pas amant, car cela vous causerait de la peine, n’est-ce pas ? Enfin, que des paroles jetées en plein vent, mais aussi comment faire pour oublier ? Nous sommes dans le même embarras. Je pense la semaine prochaine aller à Nice passer deux ou trois jours. Mais à l’approche des fêtes, le souvenir de mon regretté père n’est que plus touchant. Me donnerez-vous de vos nouvelles avant Pâques. Je ne cesserai de vous répéter que je voudrais savoir le motif, savoir le pourquoi. Au sujet de la mandole, je vous laisse libre d’autant plus qu’une amie vous conseille de l’apprendre. Quant à moi, je préfère la mandoline. C’est une affaire de goût. Et c’est très difficile d’imposer son choix (?). Remerciements et Amitiés Léon

Le 29 avril 1906
Mon cher Léon,
Comme j'ai eu plaisir à vous revoir et à vous embrasser. Ces deux jours merveilleux à Sisteron sont passés si vite. A quel endroit de nos mémoires sont-ils inscrits ? Déjà le travail quotidien et les questions qui nous agitent prennent le dessus.
Oh, votre lettre me fait du bien. Merci beaucoup. Merci aussi pour les vues de l'école de Revest des Brousses, où j'ai passé de si bons moments, bien que brefs avec ma sœur Mélanie. Quelle belle région ! Quels beaux paysages ! Quels beaux villages ! L'autre nuit, j'ai rêvé de vous. Nous étions ensemble là-bas justement, nous promenant dans le village, conversant avec votre ami instituteur à une table du café de la place, près de la magnifique fontaine en pierre, puis repartant par les chemins entre les lavandes, les bois de chênes et les prairies déjà occupées par les chèvres. Ca ressemblait tellement à la réalité que le choc fut rude au réveil. Je ne voyais à travers ma fenêtre que les flancs sombres des montagnes enserrant le vallon.
Comme vous le dites, c'est très difficile d'imposer son choix. J''ai compris ce que vous vouliez dire. A-t-on vraiment le choix dans sa vie ? Choisir une mandole plutôt qu'une mandoline ou vice-versa ne me paraît pas insurmontable. Mais choisir sa destinée est autre chose.
Mon père a décidé pour moi. Je ne veux pas épouser un homme que je connais à peine. Je ne veux pas m'opposer à mon père. Je suis mortifiée.
Un autre jour, nous discuterons  plus longuement sur ce sujet.
Aujourd'hui, j'ai une question. Comment faites-vous avec les jeunes garçons indisciplinés ? Les punissez-vous ? Leur expliquez-vous en quoi ils perturbent la classe et en quoi cela vous dérange ? Qu'est-ce qui marche le mieux, à votre avis ? J'en ai deux en ce moment qui chahutent beaucoup et je n'arrive pas à me faire comprendre. Tous les jours, je dois me fâcher. Mes paroles sont sans effet. Comment faire ? Comment faites-vous ?
Mon cher ami, tâchez, je vous prie, de ne pas trop m'accabler. Pas dans chaque lettre. Vous savez comme ce dilemme me hante nuit et jour. Je comprends votre peine et vos interrogations. Je n'ai pas de réponse simple. Aidez-moi. Aimez-moi. Je vous aime. A bientôt. Marie

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