Le
1er octobre 1906
Je
croyais que vous le saviez bien. Suis au régiment encore pour un an.
Recevrais-je aussi votre photo ? Causez-vous quelques langues
étrangères ? Votre nom SVP ? Par charité, ne soyez pas
méchante ainsi. Mille fois merci de votre gentillesse. Albert
Melle
l’Institutrice de Costebelle
De
tendresse quand vibre l’heure
Contre
l’amour on lutte en vain
D’extase,
d’ivresse on se meurt
Enviant
un baiser divin.
Dans
une lettre je vous donnerai ce que vous demandez, Mademoiselle, espérant cependant que vous m’aurez montré le bon exemple la
première. Albert
Le 21 octobre 1906
Albert,
Dimanche.
Je mets mon travail de côté pour répondre à votre abondant
courrier. Je vous remercie pour les belles cartes et pour votre
empressement à m'écrire. Que dis-je ? Votre passion ! Que
de mots ardents, fiévreux et enivrants ! Nous ne nous connaissons
pas. Comprenez que je sois précautionneuse. Je ne vous enverrai ni
ma photo ni mon nom. Dans quelles circonstances m'avez-vous connue ?
Admettez que je sois stupéfaite que connaissiez mon adresse et que
vous vous permettiez de m'écrire.
Vous
êtes tout feu-tout flamme. Je suis réservée. C'est mon
tempérament. Il est possible que je vous déçoive. Tant pis. Et ne
me dites pas que je suis « méchante ». Je suis réservée
et ferme. On me le dit souvent. De plus, mon métier m'y oblige.
En
fait, je lis vos cartes et vos lettres avec amusement et joie. Que
voulez-vous ? Je ne peux pas vous prendre au sérieux, tant
votre passion me semble irraisonnée.
Laissez-moi
m'amuser. Je vous laisse vous emporter.
Ma
collection de cartes postales s'enrichit des vôtres. J'ai beaucoup
de chance. Je souhaite que vous trouviez des séries. C'est ce qui
compte le plus dans une collection. Vous devez en trouver dans une
grande ville comme Grenoble.
Je
retourne à mon travail. Bonne semaine et bon courage à la caserne.
A bientôt. Marie
Le
28 octobre
Mademoiselle
l’Institutrice,
Il m’est bien difficile de répondre en tout cas. Je ne vous avais point jamais oubliée. Une carte à votre adresse n’avait pas été mise à la poste. Voilà. Avec mil regrets, car c’était le premier souvenir de mon premier rêve de bonheur ? Vous étiez bien dure dans votre avant dernière. Sans pitié, petite méchante, va ! J’attends toujours votre petite poire en photo. Vous me l’aviez promise. J’en serais si heureux. Et votre réel nom ???
Il m’est bien difficile de répondre en tout cas. Je ne vous avais point jamais oubliée. Une carte à votre adresse n’avait pas été mise à la poste. Voilà. Avec mil regrets, car c’était le premier souvenir de mon premier rêve de bonheur ? Vous étiez bien dure dans votre avant dernière. Sans pitié, petite méchante, va ! J’attends toujours votre petite poire en photo. Vous me l’aviez promise. J’en serais si heureux. Et votre réel nom ???
Mil
affectueux baisers. A bientôt Tout à vous, Albert
Mil
fois pardon. Collection suit.
Albert
2. Mademoiselle l’Institutrice de Costebelle
Je suis obligé de céder à votre désir, amie très chère. Etes-vous donc insensible pour une petite faveur ??
Albert
C. 10eme compagnie 140 de ligne ou chez ses parents 37 et 43 rue
Thiers, toujours à Grenoble-même.
Mon
cœur tendrement épris a dicté ce que je viens d’écrire. Ma
plume le signe pendant un gracieux sourire. Albert
Chère
amie,
De
votre jeunesse, j’envie la fraîcheur.
De
votre belle âme, je veux la candeur.
Vous
êtes de ma vie le beau printemps,
Qui
ravit mon cœur d’un parfum charmant.
Je
pense à vous quand le soleil se lève,
J’y
pense encore à la fin de son cours.
Et
si pendant la nuit, je rêve,
C’est
au bonheur de vous voir, de vous aimer un jour ?
J’espère
et attends. « N’est-ce pas ?? »
Albert
Servez-vous
de mon nom.
Je
n’ose plus m’avouer puisque à votre tour vous hésitez à vous
faire connaître. Cependant l’amitié du début s’est changée en
quelque chose de bien plus cher, de bien plus profond. Je voudrais
vous charmer, vous avoir, vous aimer. Oh croyez-moi, belle et tendre
amie, je ferais si bien et sans scrupule je vous rendrais la plus
heureuse. A vous l’honneur. Puis-je dire aussi à bientôt.
Albert
C.10e
compagnie 140e
de ligne ou 49 rue Thiers
Mademoiselle,
A quoi dois-je attribuer ces hésitations ? Ce retard à parler ? Dans vos questions, lirais-je votre façon de penser ? Pourquoi donc indéfiniment m’adresser à Melle l’Institutrice ? Je vous connais évidemment et vous êtes pour moi cette enviée Roxanne ; pour vous je déborde et j’affronterais tout mais... si vous me trouvez excessivement sérieux, répondez. Quand aurez-vous un congé de quelques jours ? Puis-je songer au bonheur de vous revoir sous peu ? Bientôt arrivera une photo. Mille baisers, ce serait si doux.
A quoi dois-je attribuer ces hésitations ? Ce retard à parler ? Dans vos questions, lirais-je votre façon de penser ? Pourquoi donc indéfiniment m’adresser à Melle l’Institutrice ? Je vous connais évidemment et vous êtes pour moi cette enviée Roxanne ; pour vous je déborde et j’affronterais tout mais... si vous me trouvez excessivement sérieux, répondez. Quand aurez-vous un congé de quelques jours ? Puis-je songer au bonheur de vous revoir sous peu ? Bientôt arrivera une photo. Mille baisers, ce serait si doux.
Mille
excuses, je m’oubliais. Mais j’espère.
Bien
sincèrement, votre ami dévoué A. C.
10e
cie 140 de ligne
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