Episode 14

Le 1er octobre 1906
Belle amie,
Je croyais que vous le saviez bien. Suis au régiment encore pour un an. Recevrais-je aussi votre photo ? Causez-vous quelques langues étrangères ? Votre nom SVP ? Par charité, ne soyez pas méchante ainsi. Mille fois merci de votre gentillesse. Albert














Le 2 octobre 1906 
Melle l’Institutrice de Costebelle
De tendresse quand vibre l’heure
Contre l’amour on lutte en vain
D’extase, d’ivresse on se meurt
Enviant un baiser divin.
Dans une lettre je vous donnerai ce que vous demandez, Mademoiselle, espérant cependant que vous m’aurez montré le bon exemple la première. Albert










Le 21 octobre 1906
Albert,
Dimanche. Je mets mon travail de côté pour répondre à votre abondant courrier. Je vous remercie pour les belles cartes et pour votre empressement à m'écrire. Que dis-je ? Votre passion ! Que de mots ardents, fiévreux et enivrants ! Nous ne nous connaissons pas. Comprenez que je sois précautionneuse. Je ne vous enverrai ni ma photo ni mon nom. Dans quelles circonstances m'avez-vous connue ? Admettez que je sois stupéfaite que connaissiez mon adresse et que vous vous permettiez de m'écrire.
Vous êtes tout feu-tout flamme. Je suis réservée. C'est mon tempérament. Il est possible que je vous déçoive. Tant pis. Et ne me dites pas que je suis « méchante ». Je suis réservée et ferme. On me le dit souvent. De plus, mon métier m'y oblige.
En fait, je lis vos cartes et vos lettres avec amusement et joie. Que voulez-vous ? Je ne peux pas vous prendre au sérieux, tant votre passion me semble irraisonnée.
Laissez-moi m'amuser. Je vous laisse vous emporter.
Ma collection de cartes postales s'enrichit des vôtres. J'ai beaucoup de chance. Je souhaite que vous trouviez des séries. C'est ce qui compte le plus dans une collection. Vous devez en trouver dans une grande ville comme Grenoble.
Je retourne à mon travail. Bonne semaine et bon courage à la caserne. A bientôt. Marie



Le 28 octobre 
Mademoiselle l’Institutrice,

Il m’est bien difficile de répondre en tout cas. Je ne vous avais point jamais oubliée. Une carte à votre adresse n’avait pas été mise à la poste. Voilà. Avec mil regrets, car c’était le premier souvenir de mon premier rêve de bonheur ? Vous étiez bien dure dans votre avant dernière. Sans pitié, petite méchante, va ! J’attends toujours votre petite poire en photo. Vous me l’aviez promise. J’en serais si heureux. Et votre réel nom ???
Mil affectueux baisers. A bientôt Tout à vous, Albert








1. Mademoiselle l’Institutrice de Costebelle
Mil fois pardon. Collection suit.
Albert


















2. Mademoiselle l’Institutrice de Costebelle

Je suis obligé de céder à votre désir, amie très chère. Etes-vous donc insensible pour une petite faveur ??
Albert C. 10eme compagnie 140 de ligne ou chez ses parents 37 et 43 rue Thiers, toujours à Grenoble-même.
Mon cœur tendrement épris a dicté ce que je viens d’écrire. Ma plume le signe pendant un gracieux sourire. Albert












3. Melle l’Institutrice de Costebelle
Chère amie,
De votre jeunesse, j’envie la fraîcheur.
De votre belle âme, je veux la candeur.
Vous êtes de ma vie le beau printemps,
Qui ravit mon cœur d’un parfum charmant.
Je pense à vous quand le soleil se lève,
J’y pense encore à la fin de son cours.
Et si pendant la nuit, je rêve,
C’est au bonheur de vous voir, de vous aimer un jour ?
J’espère et attends. « N’est-ce pas ?? »
Albert
Servez-vous de mon nom.







4. Mademoiselle l’Institutrice de Costebelle
Tendre et douce amie,
Je n’ose plus m’avouer puisque à votre tour vous hésitez à vous faire connaître. Cependant l’amitié du début s’est changée en quelque chose de bien plus cher, de bien plus profond. Je voudrais vous charmer, vous avoir, vous aimer. Oh croyez-moi, belle et tendre amie, je ferais si bien et sans scrupule je vous rendrais la plus heureuse. A vous l’honneur. Puis-je dire aussi à bientôt.
Albert C.10e compagnie 140e de ligne ou 49 rue Thiers







5. Mademoiselle L’Institutrice de Costebelle
Mademoiselle,
A quoi dois-je attribuer ces hésitations ? Ce retard à parler ? Dans vos questions, lirais-je votre façon de penser ? Pourquoi donc indéfiniment m’adresser à Melle l’Institutrice ? Je vous connais évidemment et vous êtes pour moi cette enviée Roxanne ; pour vous je déborde et j’affronterais tout mais... si vous me trouvez excessivement sérieux, répondez. Quand aurez-vous un congé de quelques jours ? Puis-je songer au bonheur de vous revoir sous peu ? Bientôt arrivera une photo. Mille baisers, ce serait si doux.
Mille excuses, je m’oubliais. Mais j’espère.
Bien sincèrement, votre ami dévoué A. C.
10e cie 140 de ligne

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire